Encore faut-il que cela se sache

Par Edith Brunette
Texte publié dans ETC revue de l’art actuel, nº 97
Nov. 2012 – jan. 2013
EXTRAIT


«Pour se distancier du discours affirmatif et volontariste des autres entrepreneurs ou activistes, par exemple, l’artiste d’aujourd’hui met ainsi beaucoup d’emphase sur l’aspect prospectif de son travail. Jamais il ne conclut, n’impose, ne décide, ni ne remplit ses quotas, bien évidemment… L’artiste s’affirme donc comme étant prêt à tout accueillir, à laisser advenir sans diriger, à noter sans juger, à travailler sans attentes, l’œuvre la meilleure devenant par définition celle qu’il n’aura pas prévue.
Ce discours du risque revendiqué se trouve paradoxalement couplé à une réalité toute autre. Après avoir passé une grande partie du XXe siècle à proclamer sa sortie d’un système économique basé sur la production individuelle d’objets uniques, à forte valeur ajouté, l’artiste s’adapte aujourd’hui à son rôle de producteur d’images (la sienne incluse) avec résignation, quand ce n’est pas avec une ironie complaisante. Face aux exigences d’un milieu de l’art qui, marchand ou subventionné, exige de ses agents la même efficacité qui prévaut dans toutes les sphères de l’économie, l’artiste peut difficilement se permettre le luxe d’une production avortée, contrecarrée ou hésitante. Aux exigences de la production s’ajoute encore tout un système de starification à petite ou grande échelle, entretenu par des communications abondantes, instantanées et internationales dans lesquelles il importe de figurer pour obtenir ventes et subventions. Car produire, même efficacement, ne suffit pas: encore faut-il que cela se sache.»