Comme si vous y étiez (ou presque): les médias et le Printemps québécois

Par Edith Brunette
Texte paru dans la revue française Cassandre/Horschamp, nº 91
Automne 2012
EXTRAIT

«À Victoriaville, le soir du 4 mai, le restaurant était rempli de manifestants. Nous testions les poutines qui s’y déclinaient en une cinquantaine de variétés, reprenant nos forces, débattant bruyamment des dernières heures passées dans les fumées et achevées sous la pluie. Les policiers protégeant l’entrée du centre où s’étaient réunis les membres du Parti Libéral ne s’étaient pas montrés amicaux; les manifestants le leur avaient bien rendu. Les affrontements entre les deux factions avaient été parmi les pires depuis le début des luttes étudiantes du printemps. Du fromage et des petits pois plein la bouche, nous déversions à toute vitesse, comme pour nous en exorciser, les images aperçues à travers les fumigènes et nos yeux brûlants: cette fille accroupie, un foulard ensanglanté sur la bouche et ses dents dans un sac Ziploc, ou ces manifestants tentant de protéger un blessé, tandis que les policiers continuaient de les charger malgré leurs appels à la trêve. Au-dessus de nos têtes pourtant, les écrans accrochés aux murs pour distraire les clients passaient en boucle des images tout autres: un policier assailli par des manifestants, et une intervention d’un porte-parole de la Sûreté du Québec nous martelant à quel point les forces de l’ordre avaient bien fait leur travail. Ces images des événements n’étaient ni plus ni moins valides que les nôtres, seulement, ce seraient les seules qu’en verraient des millions de Québécois.»